Découverte

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Les Huskies de Rouen, dans le top 8 du baseball européen

Écrit par : Hugo Lebrun

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Avec 14 titres nationaux sur les 16 dernières années, les Huskies de Rouen se sont fait une place dans le top 8 européen. Des performances gigantesques pour un club amateur, qui rêve de détrôner les mastodontes professionnels italiens et hollandais sur le toit de l’Europe. Reportage.

18 h, un soir de novembre. Les frimas de l’automne ont plongé Rouen dans le froid et l’obscurité. L’heure est aux frappes de balles dans le tunnel de tirs, où les jeunes du club répètent leurs gammes tandis que leurs aînés s’entraînent à la carte pendant une trêve bien méritée. La saison 2018 vient tout juste de s’achever, avec de nouveaux titres inscrits dans le livre d’or du club : un doublé Coupe - Championnat, et une demi-finale de Ligue des Champions disputée contre l’ogre Rotterdam, dix fois vainqueur de l’épreuve…L’histoire des Huskies est avant tout une histoire d’hommes. Elle débute dans l’intimité de la bibliothèque universitaire de Rouen. Nous sommes en 1986. Quatre étudiants discutent à voix basse. Parmi eux, Xavier Rolland, le président actuel des Huskies, et son frère Pierre-Yves. « Il y avait un club à Bois-Guillaume pas loin de chez nous, mais il n’était pas encore structuré, explique le président rouennais. Du coup, on a eu l’idée avec des copains de monter le nôtre, sans trop savoir où tout ça allait nous mener ». Quelques mois plus tard, les Huskies frappent leurs premières balles sur un terrain vague qui deviendra plus tard le stade Antoine-De-Saint-Exupéry, théâtre de leurs exploits… « On était une bande de jeunes de 20 ans, on n’avait aucune expérience dans ce sport, on connaissait à peine les règles. Et, d’un seul coup, on s’est retrouvés avec plein de monde et une forte demande à gérer ! On ne se doutait pas une seule seconde de ce dans quoi on s’embarquait ». Les premiers succès ne se font pas attendre. Les Huskies gagnent leurs premiers matches à l’énergie en totale autogestion et sans entraîneur, avant l’arrivée progressive de plusieurs joueurs qui ont rapidement élevé le niveau, tout en épousant la philosophie de leurs fondateurs. « Pour nous, c’était avant tout une aventure humaine. On y a mis toute notre énergie, consacré nos jours et nos nuits… Sur le terrain, on avait le même état d’esprit ! »



Le rêve de la Ligue des Champions


Le bruit des battes qui cognent les petites balles en cuir résonne dans la halle de frappes qui jouxte le terrain d’entraînement. Les jeunes sont à l’œuvre. « Pour être bon, il faut bien lancer et bien frapper. Alors, on a construit cette halle », détaille le président, avant d’expliquer qu’un tunnel de fortune confectionné avec des filets de pêche l’avait précédé. « Quand on n’a pas de moyens, il faut être créatif. Dans ce club, on a tout construit nous-mêmes : des équipes, des éducateurs, des bureaux, des infrastructures d’entraînement… Il a fallu beaucoup d’énergie, de pédagogie et de communication pour se faire connaître ». Au milieu des bancs de musculation, l’international français Dylan Gleeson récupère entre deux exercices. La jeune pépite se souvient de la CEB Cup (équivalent de la Ligue Europa dans le football), remportée en 2016 à domicile contre les Barracudas de Montpellier. Une première en France. Mais Dylan rêve d’une autre coupe. Plus grande, plus belle, plus prestigieuse. La Ligue des Champions... Un Graal que tout le monde convoite au club. « Cette compétition, c’est le top. Quand on la dispute, il y a un parfum particulier, explique le tricolore. Il y a plus d’enjeux, une adrénaline différente. La remporter un jour, ce serait dingue ! »



À quelques mètres se tient le coach vénézuélien Keino Perez. Passé par la grande Major League américaine et le prestigieux championnat des Pays-Bas, le technicien éclaire le jeu des Huskies depuis 13 saisons. « Un match, ça se joue à rien, rappelle-t-il. Il y a deux ans, on a gagné la finale du Championnat de France sur un amorti. La différence se fait au mental et les matches se jouent sur des détails ». Dylan Gleeson poursuit : « Pour le haut niveau, il faut faire confiance à son instinct. Ce n’est pas donné à tous les joueurs. Les Huskies ont cet instinct. C’est quelque chose qui se cultive et se transmet auprès des plus jeunes ». Au rang des vieux briscards expérimentés, Luc Piquet, 37 ans, fait figure lui aussi de pilier du club. International tricolore et capitaine de la formation normande, il a été de toutes les conquêtes et l’un des grands artisans qui ont permis au club de s’installer dans le top européen. « Ici, c’est la passion qui guide le club. Quand je suis arrivé, à 19 ans, ce sont les anciens qui m’ont inculqué l’état d’esprit de la maison. Ils m’ont dit : « Tu veux gagner ? Il va falloir que tu travailles et que tu performes pour l’équipe. Tu vas apprendre, tu vas rater, tu vas recommencer » ».



La double vie des Huskies


Au quotidien, ces athlètes de haut niveau mènent une vie d’agents doubles. Ces internationaux ont beau être des références à l’échelle européenne, ils redeviennent monsieur tout le monde entre deux déplacements de Coupe d’Europe : Luc Piquet travaille dans la restauration, Maxime Lefevre est agent immobilier, David Gauthier commercial en pharmaceutique, Yoann Vaugelade commercial dans le secteur du BTP, Kenji Hagiwara directeur d’une grande surface… « Nos joueurs ne gagnent pas d’argent avec le baseball, ils sont amateurs, précise Xavier Rolland. C’est aussi ce qui fait le charme et la force de notre club face aux clubs professionnels d’Italie ou des Pays-Bas que nous rencontrons en Coupe d’Europe. Leur budget est entre 10 à 15 fois supérieur au nôtre ! » Les étrangers qui viennent renforcer l’effectif sont quant à eux de véritables globe-trotters de la batte, venus des États-Unis, du Canada, mais aussi d’Amérique du Sud. « Nous ne leur offrons pas d’argent à eux non plus, mais des conditions pour les loger et les accueillir, poursuit le président. Certains joueurs viennent parce que ça leur offre des opportunités de voyager en Europe tous frais payés et d’y jouer contre les meilleurs clubs, ce qui leur donne aussi de nouvelles opportunités de carrière. D’autres viennent également par nécessité : ils étaient des stars chez eux, comme au Vénézuéla où le baseball est le sport n° 1, mais ils ne sont pas en sécurité là-bas. Le pays est pauvre, et les menaces d’enlèvements pour des rançons sont fréquentes ». Dans le sens inverse, quelques frenchies de la maison rouennaise ont, eux aussi, réussi à signer pro aux États-Unis avant de revenir en France : Joris Bert aux Dodgers de Los Angeles, Alexandre Roy aux Mariners de Seattle, Frédéric Hanvi aux Twins de Minnesota, ou encore Maxime Lefevre avec les Capitales du Québec.



Softball et baseball five, des forces d’attraction émergentes


Une formation maison


Ces exils font la lumière de la formation maison, qui s’appuie sur une académie de la ligue Normandie au sein du club, et sur l’encadrement des équipes de jeunes dès l’âge de 4 ans, en grande partie par les joueurs de l’équipe première. Une politique de formation qui trouve un point de convergence avec la dynamique de développement et d’ouverture de la fédération. « Nous comptons désormais près de 14 000 licenciés pour 220 clubs, explique le président fédéral Didier Seminet. Le baseball est un sport qui se développe de plus en plus grâce à nos clubs, notre travail de proximité et nos équipes de France qui débutent dès les moins de 12 ans, ce qui créée de l’émulation chez les jeunes ». Nombre d’entre eux seront attentifs aux résultats des équipes de France lors du Championnat d’Europe cette année. Une étape primordiale pour espérer se qualifier aux prochains Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Un défi que les Huskies tricolores comptent bien relever…