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Mondiaux de Budapest : la peur du vide pour les Bleus

Écrit par : Anthony Poix

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L’équipe de France avance avec quelques appréhensions à l’heure d’affronter les meilleures nations du tennis de table mondial, du 21 au 28 avril à Budapest (Hongrie). Subissant un calendrier très lourd, l’encadrement des Bleus espère trouver une nouvelle dynamique en vue des Jeux olympiques de Tokyo.

La course contre la montre est lancée et l’objectif est clair : retrouver des certitudes à 15 mois des Jeux olympiques de Tokyo. À l’approche des Championnats du monde de Budapest (Hongrie), du 21 au 28 avril, la confiance ne règne guère chez les Bleus. Une année 2018 jonchée des blessures de ses têtes d’affiches, des résultats internationaux en demi-teinte et des déceptions de début d’année qui rythment de manière assez inquiétante la préparation préolympique. L’heure est donc à la mobilisation dans les rangs tricolores. « On se doit d’être optimistes », relativise Jean-Claude Decret, directeur des équipes de France depuis 2013. « Il faut se poser les bonnes questions pour que cela fonctionne. Même si les observateurs autour de moi s’avouent défaitistes, je connais les problématiques. Nous sommes loin et pas loin à la fois. Beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte. Nous ne souhaitons pas tout laisser faire, je garde le cap. »



Des leaders à la peine en simple


Les Championnats du monde de Budapest permettront d’y voir plus clair dans les futures ambitions françaises, même si la compétition risque à nouveau d’être à deux vitesses en raison d’une forte présence de joueurs chinois, japonais et sud-coréens (5 de chaque). « Je ne me hasarderai pas à pronostiquer des médailles », tempère le directeur national. « Si nous arrivons à décrocher des huitièmes de finale, nous serons déjà très contents. Nous subissons des performances compliquées au niveau international. Le plateau est extrêmement relevé. C’est encore plus dur qu’aux JO ! Cette compétition est une étape. L’important, ce sont les tournois de qualification olympique, notamment par équipes. J’espère avant tout que nous ferons des résultats corrects et que nous sentirons des individus qui ont la foi et l’envie. L’exemple du PSG, dans le football, nous montre ce qu’il se passe quand la niaque n’y est pas ! Que tout le monde sorte de ces championnats avec une bonne dynamique. » L’une des principales préoccupations du staff de l’équipe de France, emmené par les coaches Patrick Chila et Han Hua, demeure en simple où les meilleurs joueurs et joueuses éprouvent quelques difficultés. Lors des derniers Championnats de France au Mans (Sarthe), les 2 et 3 mars, Simon Gauzy, s’est fait sortir dès les quarts par Antoine Hachard tandis qu’Emmanuel Lebesson (notre photo) a cédé en huitième face au futur vainqueur, Can Akkuzu. « Il y a évidemment de la déception de ne pas être allé plus loin », exprime le champion d’Europe 2016. « Ce n’est pas une excuse, mais j’ai payé cher le fait d’avoir joué les trois tableaux. J’en étais à mon 4e match d’affilée. Malgré cette défaite, je me sens en bonne forme physique. Il faut simplement que cela prenne du volume sur toutes les échéances 2019. » Si elle veut bien figurer dans ces Championnats du monde, l’équipe de France aura effectivement besoin de ses meilleurs athlètes.



Un manque de leadership


« Le manque de leadership représente actuellement la principale source de déception à l’issue des derniers Championnats de France », pointe Jean-Claude Decret. « Nos deux meilleurs joueurs sont en-deçà de leur niveau habituel. À 15 mois des Jeux olympiques, on s’attendrait à ce qu’ils soient plus performants et qu’ils emmènent dans leur sillage toute une génération de joueurs. Ce n’est pas trop le cas et la situation dure un peu. » Un sentiment qui n’affecte pas l’ambition d’Emmanuel Lebesson. « Il va falloir être prêt », annonce le joueur de Rouen (Seine-Maritime). « Bien sûr qu’il y a de la pression, mais cela a un côté excitant. Cette année, on a comme l’impression de se jeter dans le vide sans savoir si on a un parachute. La réalité, c’est qu’on n’en a pas. » Chez les femmes, la donne semble encore plus délicate depuis l’éviction de Pascale Bibaut à la tête de l’équipe en janvier, puisqu’aucune coach n’a encore été choisie (Armand Duval et Rozenn Jacquet-Yquel assurant l’intérim, NDLR). La génération portée par Laura Gasnier (25 ans) et Stéphanie Loeuillette (26 ans) est loin de la concurrence internationale. La première n’hésite d’ailleurs pas à voir au-delà des Championnats du monde. « Je vise plutôt les Jeux européens dans l’optique des JO », annonce la native du Mans. « Ce n’est pas une période facile, la fatigue entre en ligne de compte. Il va donc falloir se remettre en forme pour les échéances les plus importantes. La finalité, ça reste les Jeux. » Pour le directeur du haut niveau Jean-Claude Decret, « le fossé est encore plus important chez les filles. Il est peu probable que nous fassions des résultats à Budapest. L’objectif est de construire. »



L’espoir est permis pour les doubles


Derrière les inquiétudes se cachent toutefois de bonnes surprises. C’est notamment le cas de l’émergence du jeune champion de France, Can Akkuzu (21 ans), licencié à Cergy-Pontoise (Val d’Oise), et du retour en forme d’Antoine Hachard (24 ans), sociétaire de Caen (Calvados) et finaliste malheureux au Mans. « La victoire de Can est une confirmation », estime le directeur des équipes de France. « Il a profité du manque de forme des leaders et a beaucoup évolué ces derniers mois. Il monte en puissance. Quant à Antoine Hachard, nous ne l’attendions pas en finale. C’est une belle surprise. » Chez les filles, la jeune génération commence à pousser à l’image de la Messine Pauline Chasselin (21 ans, notre photo) qui a décroché une médaille de bronze au Mans. « C’est plutôt positif pour moi », reconnaît celle qui espère passer sous la barre des 100 meilleures mondiales avant juin. « Il y a du progrès dans pas mal de domaines. J’en tire un bilan assez positif. J’ai bon espoir de participer aux Mondiaux. » Si la France peine en simple, elle nourrit en revanche de beaux espoirs en double. À l’image d’Emmanuel Lebesson qui, en dépit de sa performance individuelle, a partagé le titre national avec son partenaire Tristan Flore. « La paire Lebesson/Flore peut performer », ambitionne Jean-Claude Decret. « Ils ont récemment été très bons. En fonction du tableau, peut-être que ça peut nous sourire. Nous avons espoir. De là à décrocher une médaille… » Pour Laura Gasnier, titrée en double aux côtés de Carole Grundisch au Mans, c’est d’ailleurs l’une des satisfactions de l’année. « On voulait absolument gagner », lance-t-elle. « On s’est énormément soutenues après des périodes compliquées. Le double, comme le double mixte avec Tristan (Flore), sont de bons objectifs. »


La route surchargée vers Tokyo


Au fil des compétitions, l’obsession olympique va gagner les rangs tricolores. Elle y est déjà très présente malgré des obstacles évidents. « La gestion du calendrier est devenue un facteur limitant », regrette le responsable du haut niveau en équipe de France. « Un joueur doit pouvoir se préparer, jouer, performer, se repréparer… Dans notre activité il est très dur de prioriser, car on joue tout le temps. Avec les clubs, la négociation n’est pas facile non plus, car il y a beaucoup de journées de championnat. Je travaille pour que l’année olympique soit privilégiée et qu’on puisse bien s’y préparer. Si nous y arrivons, tout est possible. Donnons-nous-en les moyens. » Rien que pour cette année 2019, le groupe tricolore doit participer aux Championnats du monde, aux Jeux européens à Minsk en Biélorussie (22-29 juin) et aux Championnats d’Europe à Nantes (3-8 septembre). Ce n’est pas la première fois que des joueurs pointent du doigt le calendrier surchargé. Mais le débat s’intensifie quand il s’agit d’une année préolympique. « Cela devient compliqué d’enchaîner », estime Laura Gasnier. « On n’est pas des robots. » Un constat partagé par son coéquipier. « C’est sûr qu’il y a énormément de grosses compétitions », constate Emmanuel Lebesson. « Quand vous avez de grosses échéances tous les trois mois, ce n’est pas évident d’avoir un pic de forme. Après, on ne peut pas cracher sur des Championnats du monde ou d’Europe ! On ne peut pas se permettre de faire l’impasse. C’est ultra important. Mais dans nos têtes, la qualification aux Jeux prime. »